L’auteur Marcel DEAT (1894-1955), chef du rassemblement national populaire : parti politique pronazi, a écrit le 12 février 1944 dans le journal L’ŒUVRE.
M. de Chateaubriant dans la même brillante conférence à laquelle je me référais hier ne s’est pas contenté de caractériser le mal de ce siècle comme une absence « d’images », il a probablement découvert la cause essentielle de cette chute de civilisation.
Par cette simple remarque démographique : du XVIIIe au XXe siècle la population de l’Europe a triplé ou quadruplé, alors qu’elle ne s’était que très lentement accrue au long des millénaires. Que cette prolifération ait coïncidé avec l’expansion du capitalisme, c’est un autre fait assez évident. Ainsi a commencé le règne des masses, en même temps que celui des techniques de la grande production. Les conditions de l’existence en ont été bouleversées matériellement, mais encore plus spirituellement.
Dans des sociétés moins denses, au rythme de vie beaucoup plus lent, les élites avaient eu le temps de mûrir et de se perpétuer. L’homme était, vaille que vaille, lié et encadré. L’avènement des masses a été du même coup celui de l’individu. Il n’a trouvé qu’un commencement de vie collective que dans la classe, définie par l’économie nouvelle et ces brutales oppositions entre capitalisme et prolétariat. Le faible Etat libéral était coincé entre les forces adverses, et la nation était comme niée par le double internationalisme du capital et du travail.
Le groupe national gardait cependant sa puissance et sa mystique, et c’est à partir de lui qu’un jour devait venir le salut. Mais le capitalisme, là encore, faussait tout, et il ne se réconciliait avec la nation que pour en faire l’instrument de son impérialisme. Tout moyen semblait perdu de ressaisir l’homme et de lui rendre la maîtrise de lui-même. Le bolchevisme devenait dès lors la grande tentation, et le péril permanent d’une civilisation monstrueuse et déréglée. C’est encore une idée saisissante de M. de Chateaubriant : le bolchevisme n’est pas seulement un phénomène russe, ni la forme dégénérée et brutale de la révolte socialiste. C’est un effort systématisé d’alignement de l’homme sur les mécanismes économiques, c’est le consentement machiavélique à accorder à la masse avec la technique, à inclure le destin des foules dans le cadre des usines à fer ou à blé. C’est la limitation de l’horizon individuel à celui de la chaîne, c’est la réduction des initiatives à l’automatisme des gestes indéfiniment renouvelés.
Mais c’est aussi, du même coup, la coïncidence du pouvoir politique avec le pouvoir économique, c’est la possibilité d’une formidable dictature, au profit d’une caste de technocrates et de bureaucrates. Le système américain est simplement moins poussé, moins perfectionné que le russe, mais il y tend. Et cela explique, avec l’identité des meneurs juifs, l’alliance de ces deux produits extrêmes du capitalisme et des masses prolétarisées. Il importe peu que d’un côté l’on nous parle de liberté et de démocratie, et que de l’autre on prétende avoir mis la science au service de la révolution : c’est le même abrutissement populaire, c’est la même implacable domination.
L’Europe occidentale s’est trouvée depuis cent ans, en face de cet immense problème. La France en particulier, a tenté de le résoudre. Il était d’ailleurs moins aigu pour elle que pour d’autres nations, car la grande concentration capitaliste avait moins modelé son économie. Elle résistait par ses provinces, par ses paysans, par ses artisans, par son moyen patronat. Elle essayé d’opposer à la marée aveugle et au nivèlement un effort non négligeable dans le domaine de l’éducation populaire. Elle croyait à la vertu de l’école, à la souveraineté thérapeutique des « lumières ».
Mais cet enseignement n’a pas trouvé des formules à l’épreuve de cette pression et de cette corrosion. Succombant à son tour à l’emprise capitaliste, il a trop souvent réduit son ambition à préparer des manœuvres spécialisés sachant lire, écrire et compter, avec tout juste ce qu’il leur fallait de notions pour remplir leurs fonctions subalternes de producteur, de contribuable et éventuellement de soldat sans idéal. Nous avons connu une décadence ralentie, insensible, ce qui nous a ôté, avec la perception claire du péril, l’envie d’y faire face. Nous avons eu l’illusion d’être hors du drame économique, parce que nous sentions moins que d’autres la crise mondiale ; hors du drame social, parce que les heurts étaient chez nous moins brutaux entre classes ; hors du drame politique, parce que les luttes des partis aboutissaient aux combinaisons parlementaires, sans aller tout à fait à la guerre civile. Comme nous nous croyons encore hors du drame militaire, et exonérés du pire par une guerre manquée.
La France n’était absolument pas désignée par l’histoire pour faire barrage contre les périls. Ce rôle appartenait à l’Allemagne parce qu’elle était un pays de masse, parce qu’elle était un pays devant l’industrie, parce que chez elle rien ne voilait ou ni n’atténuait les crises et les drames. Parce que, le danger bolcheviste n’était pas une vue de l’esprit, mais une question de vie ou de mort. Tandis que nous vivions agréablement dans l’illusoire, l’Allemagne vivait dangereusement aux prises avec les plus dures réalités. Notre existence était légère, la sienne était grave, nous blaguions, et les Allemands étaient sérieux. Nous avions perdu le sens de la vie, ils le retrouvaient dans le malheur et la souffrance.
Par une grâce de l’histoire, et pour le salut de l’Europe, un grand peuple était rassemblé par un Chef, et s’apprêtait à remplir un rôle qu’aucun autre à sa place n’était capable de jouer. Car il y fallait, comme chez l’adversaire, la masse humaine et la technique la plus implacablement perfectionnée. Si le bloc de l’Allemagne et ses alliés n’avait pas eu son volume et sa densité, le génie ne suffirait pas à la tâche. Mais il y fallait aussi que ces masses fussent unies dans une nouvelle foi, il fallait que la technique fût subordonnée à l’homme, que les « images » enfin fussent plus motrices que le profit individuel ou que les haines de classes. Et c’est alors que l’unité nationale cadre de la justice retrouvée, a permis une communauté d’un type inédit. La force était en place, qui pouvait vaincre le bolchevisme. Le vaincre sur les champs de bataille, comme elle l’avait déjà vaincu dans les institutions et la vie collective.
A partir de là, la civilisation du XXe siècle devient possible, qui résoudra accessoirement le problème de l’éducation. N’évoquons pas plus ces perspectives. Il suffit qu’en cette complexe tragédie tout prenne son sens, et jusqu’à la réticence française. Mais la comprendre, c’est la surmonter.