« Nous passâmes au stade suivant, le « B », assez impressionnés de la vigueur nouvelle que nous découvrions en nous. Mais l’instructeur remit les choses au point en quelques minutes :
- - Votre stage de formation, messieurs, comporte quatre phases, chacune volontairement plus ardue que la précédente. Celle-ci est la seconde mais nous qui en sommes chargés, aimons penser que ce devrait être la quatrième. Maintenant commençons !
La précision avec laquelle il s’exprimait nous ahurit et la suite prouva qu’il était homme de parole. C’est sur les genoux que, le premier soir, nous regagnâmes la chambrée – où je glissai sous enveloppe une somme destinée à couvrir les frais d’envoi de mes restes à ma famille.
L’objet d’orgueil et de joie de cette phase B était la tour de saut, un échafaudage d’une quinzaine de mètres, muni d’une échelle permettant d’accéder à une plate-forme terminale. Si l’on souhaitait continuer à trouver quelque attrait à sa nouvelle profession, il était vivement conseillé de ne pas regarder au-dessous de soi. Un câble tendu entre deux vieux poteaux télégraphiques s’arrimait à proximité immédiate de la plate-forme et sur ce câble, e légère inclinaison, roulait une poulie soutenant un harnais de parachute. L’ensemble avait tout le charme d’un gibet de l’ancien temps.
L’élève montait jusqu’à la plate-forme où l’attendait un instructeur. Il s’insérait dans le harnais et se mettait en position de départ. L’instructeur dévidait alors la série des commandements préparatoires. Quand il lâchait : GO ! qu’il accompagnait d’une claque sur la jambe du patient, celui-ci se précipitait dans le vide, tombait de 8 mètres, rebondissait sur 3 à cause de la combinaison poulie-harnais puis, grâce à la poulie, descendait comme une flèche tout le long du câble. La balade se terminait par l’aplatissement du sujet dans un énorme tas de sciure, à une trentaine de mètres.
Mon peloton inaugura la tour, moi sautant en premier. A vrai dire, le terrifiant de la chose était surtout psychologique. Il fallait un certain cran pour se jeter dans quinze mètres de rien du tout, mais, après un premier essai, on n’y faisait même plus attention, et la descente au bout de la poulie était plutôt marrante. 
Certains élèves hésitaient. Quelques-uns refusaient même catégoriquement de sauter. Ils se pétrifiaient au moment fatal et si l’instructeur ne parvenait pas à les convaincre leur carrière de parachutiste se terminait là. C’était d’ailleurs une raison d’être de la tour. Elle évinçait ceux qui n’auraient jamais pu franchir le pas et leur épargnait l’agonie d’une semblable défaillance à la porte d’un appareil en vol. (…)
Le reste de nos matinées à « B » se passaient à apprendre comment manœuvrer un parachute en l’air et comment atterrir. La manœuvre en soi n’était pas bien calée et, quand on savait opérer, se diriger devenait facile.
Apprendre à opérer était précisément toute l’affaire. On nous l’enseignait sans douceur superflue, ficelés, que nous étions dans un harnachement accroché à un bâti en bois. Pendre de la sorte comme un vulgaire poids morts affectait péniblement la victime et des noms peu distingués nous servaient pour qualifier l’engin. A fendre l’âme, les appels au secours de quiconque se trouvait coincé entre ciel et terre ! Invariablement, les instructeurs s’en cassaient en deux à force de rire. Le malheureux cause de cette hilarité, ne faisait jamais chorus avec eux (…)

A apprendre à atterrir était une autre farce. Si la phase « A » était censée faire de nous des hommes d’acier, la phase « B » semblait devoir nous persuader qu’acier ou non nous nous briserions comme verre si nous heurtions le sol avec une violence excessive. Et de faire des roulés-avant, des roulés-arrière, des roulés-latéral ! On sauta, on tomba, on plongea, on nous balança d’estrades allant de un à cinq mètres. On s’amortit sur de la sciure, de la terre, des matelas de toile et le plus souvent qu’on ne l’aurait souhaité, les uns sur les autres.
A « B », les après-midi nous initièrent à l’art aimable du pliage des parachutes. En dépit de son ennui mortel nous prêtâmes à cet aspect du stage toute notre attention. Etant donné que chacun devait plier son propre parachute avant chaque saut, nous préférions ne rien laisser au hasard. On nous montra comme procéder, et on procéda. Les « pépins » des hangars où se pratiquait le pliage étaient des trucs en soie qui, après avoir survécu à une centaine de sauts, s’étaient vu réformer pour des exercices plus paisibles.
A bientôt pour la semaine "C" …