Quand elle eut terminé en assez bonne forme la phase « B », la compagnie 116 s’en fut voir ce que lui réservait la « C ». Nous y savions les après-midi consacrés à de nouveaux et multiples pliages. On s’aperçut bientôt que les matinées devaient nous aider à découvrir ce qu’on éprouve quand un saut se produit à mi-chemin du sol.
La chose était rendue possible par des tours métalliques de 80 mètres, munies, tout en haut de quatre bras. Pour mon goût, elles ressemblaient un peu trop à des potences.
L’opération de descente à partir des tours était d’une simplicité diabolique. On accrochait un élève à un parachute ouvert. Le reste du peloton fixait les bords du pépin à un grand cercle à cardan en fer. On hissait le tout en haut de la tour au moyen d’un câble d’acier comme il en pendait un à chacun des quatre bras. L’élève accomplissait donc cette ascension, mollement balancé au bout de ses ficelles.
Quand il atteignait le bras de charge, on l’y laissait en général le temps de faire la paix avec Dieu, puis un déclic libérait le parachute, et après un plongeon d’une vingtaine de mètres, l’air gonflait le pépin et l’on expérimentait les soixante mètre restants une descente tout ce qu’il y avait de réel.
J’ouvris le bal, comme d’habitude, après une discussion animée entre les instructeurs, afin de déterminer à quel bras de quelle tour – il y en avait quatre- il convenait de me haler. En effet, tout dépendait du vent et reposait sur le vœu optimiste que celui-ci soufflerait assez dans la bonne direction pour éloigner l’élève de l’échafaudage. Pour peu que l’on commence à dériver vers les tours, on devait « opérer des tractions sur les élévateurs » et tâcher de se tirer d’affaire. Il nous était gravement conseillé d’agir sans perte de temps !!!
Les maîtres de mon sort finirent par décider que « la meilleure chance » comme ils disaient _ ET Dieu Sait si l’expression m’enchanta ! _ se situait au bras 3 de la tour 4. Toute la promotion était rassemblée au pied de la dite tour. Quand je me rendis compte qu’allait m’incomber le rôle de démonstrateur, je suggérai poliment qu’un des instructeurs de la base ferait peut-être mieux que moi l’affaire. L’honneur de commencer ne m’en resta pas moins.
On me boucla dans mon harnais. Mes camarades, les mains aussi pataudes qu’ils avaient l’esprit frivole, tripatouillèrent le parachute et sa ferraille jusqu’au point où tout sembla emberlificoté sans espoir de salut. L’ordre, alors, retentit : « Hissez-le ! ».
Et je grimpai vers le ciel, un trajet assez court mais non sans intérêt.
Une fois e, haut de l’édifice, accroché comme un truc quelconque à un arbre de Noël, je regardai en-dessous de moi, je vis fort Benning sous un angle particulier. Alors le haut-parleur aboya :
__ Prêt, numéro 3 ?
Un coup d’œil pour déterminer quelle tête faisait le numéro 3 me prouva que j’étais rigoureusement seul. Cela semblait donc faire de moi le numéro 3. Aussi répondis-je avec une petite voix :
__ Oui.
Le haut-parleur rugit de nouveau :
__ Allons, exprimez-vous comme un homme ! Etes-vous prêt, numéro 3 ?
Je n’étais pas d’humeur à tolérer qu’un pitre qui avait, lui, avec les deux pieds sur terre se livrât à des remarques déplacées après les pirouettes que l’on m’imposait. Aussi hurlai-je à mon tour :
__ Est-ce que j’ai le choix ? Bien sûr que je suis prêt ! Appuyez sur votre bon dieu de bouton !
__ Un simple « oui » aurait suffi, mon lieutenant !
Il y eut une secousse, un plongeon dont j’eus conscience, mais sans me soucier d’en faire l’analyse, puis un doux : « houche ! » tandis que le parachute se gonflait. Lugubre, la même voix m’assura que si je ne modifiais pas ma position je me tuerais à coup sûr en touchant le sol. Puis on me passa à une autre voix qui se borna elle, à un jovial :
__ Les pieds l’un contre l’autre ou les chevilles brisées. A votre guise mon lieutenant !
Mon atterrissage fut correct, c’est tout ce qu’on en peut dire. (…) Après avoir regardé mes camarades s’écraser dans la nature, je résolus d’écouter plus attentivement les conseils des instructeurs sur la manière d’atterrir. Jusqu’à cette première descente en chute libre, ce qui nous intéressait surtout, c’était de sortir indemnes d’un avion.
Entre les tours, le matin, et le hangar à parachute, l’après-midi, la phase « C » s’écoula assez vite. Ce qu’il restait de temps libre était occupé par des cours. Comment se servir de son ventral, un brave petit pépin, qu’on portait sur la poitrine pour empêchait que l’Etat ne perdit avec vous tout l’argent dépensé à votre instruction. Comment reconnaître les câbles à haute tension des cordes à linge : « évitez tout ce qui s’allonge entre deux poteaux ! » (…)
Et puis un vendredi après-midi, on arriva à nos tables de pliages pour y trouver, à nous attendre, des parachutes d’une mine suspecte. Les paroles du chef plieur nous glacèrent le sang :
__ Messieurs, je vous recommande le pliage de ces parachutes. Vous allez vous en servir lundi prochain !
Eh bien, la première fois qu’on avait plié des pépins, cela nous avait pris une heure environ. Après nous être entrainés tous les jours pendant une quinzaine, certains d’entre nous avaient abaissé à vingt minutes leur moyenne. Cet après-midi-là, tout le monde resta un minimum de trois heures dans le hangar. La plupart y restèrent quatre heures pleines et certains voulaient revenir dans la soirée !
Cette réaction n’est pas pour étonner les instructeurs, mais ils la tinrent pour non avenue. Ils vérifièrent le pliage à quatre reprises au moins et, quand ils dirent que c’était bien, on n’eut plus qu’à lacer l’étui. Leur argument irréfutable :
__ Ca va, mon lieutenant. Si vous ne sautez pas avec ça, je prendrai votre place. (…)
Les églises, elles, firent des affaires en or ce dimanche-là !
A bientôt pour la dernière semaine de formation « D » et leur premier saut !
Merci pour ses informations qui sortent vraiment de l'ordinaire