Le lendemain matin, rares furent ceux qui s’attablèrent pour le petit déjeuner. Etrange, d’autre part, le silence régnant dans nos baraquements. Zéro pour le chahut coutumier ! Notre insouciance, notre raffut, nos chants nous avez rendus célèbres. Ce jour-là, notre bonne réputation en prit un coup. Durant les heures précédant son premier saut, la compagnie 116 eut toute la vitalité d’un sac de farine.
On nous attendait sur l’aire d’embarquement. Avec des pressentiments sinistres, nous ouvrîmes nos armoires pour en extraire les pépins sur lesquels nous avions sué sang et eau deux jours auparavant. Je m’aperçus alors de l’expression propre à chaque parachute : le petit avait l’air content de lui ; le gros : morose.
… On alla s’équiper et on se ligatura dans le harnais. Opération à laquelle s’associait un haut-parleur lâchant des perles telles que « Serrez vos sangles à bloc ! En glisser à 300m du sol risquerait d’entraîner des conséquences désastreuses. N’oubliez pas non plus que rien de plus difficile à nettoyer qu’un parachute ». Après une éternité d’attente dans le local connu sous le vocable : « l’antichambre de la peur », un petit discour fut censé nous remonter le moral. Sa conclusion : « Eh bien messsieurs, nous y voilà ! » ne nous rendit pas plus optimistes.
… Je montai à bord d’un C-47 quand les autres y eurent pris place. Les officiers passaient les derniers, mais sautaient les premiers. Quand tout fut en ordre, on décolla. Mon siège se trouvait à côté de la porte, ouverte, et par laquelle je n’apercevais que trop bien le paysage.
--Debout !
Après 3 semaines, c’était devenu un réflexe.
--Accrochez !
Fixer ma sangle d’ouverture automatique au câble au-dessus de nos têtes faisait partie d’un rituel que j’accomplis avec un soin tout particulier.
--Vérifiez équipement !
Autrement dit : mon ventral et le dorsal du bonhomme devant moi. Mais il n’y avait devant moi que le largueur qui pouvait lui, se permettre de se marrer parce qu’il resterait à bord. Je comptai mes parachutes et eus un sourire idiot.
--Annoncez la vérification !
--Numéro 12 ok ! déclara avec verve le dernier stick.
Et cela descendit tout le long de la ligne jusqu’à mon :
--Numéro 1, ok !
Il semblait donc que l’on fut prêt. Tous les yeux de se fixer alors sur les deux petites lumières placées au-dessus de la porte, l’une rouge, l’autre verte. Le pilote allumait la rouge quand on arrivait à proximité de la zone de largage et la verte quand on passait au-dessus du point de saut.
Le feu rouge apparut.
--Devant la porte !
Traînant les pieds comme une cadène de forçats, le stick se mit en marche. Puisqu’il s’agissait, en la circonstance, de sorties individuelles, personne ne précipita le mouvement. En tout cas, pas moi. Je me plaçai en position et un des types, derrière, cria :
--Montrez-leur ce qu’on peut faire, mon lieutenant !
Je hochai la tête avec une conviction qui, hélas ! ne venait pas du cœur. Alors vint le « prêt » du largueur. La lumière verte tremblota. Je sentis une tape contre ma jambe et entendis : « Go ! ».
Ma performance fut atroce, aussi affreuse qu’elle pouvait l’être, à ceci près que je réussis à ne pas me cogner dans la queue de l’appareil. J’avais conscience de tomber en avant, mais de haut en bas. Alors quelque chose claqua et ce fut comme un coup de fouet : le choc de l’ouverture si redouté. Il répondait exactement à tout ce qu’on nous en avait dit.
Quand je pus renverser la tête, je levai les yeux vers la coupole de mon parachute, et il me parut superbe. Je commençai alors à me préoccuper de l’atterrissage. Au sol se trouvaient des gens qui observaient d’autant plus mes évolutions que j’étais le premier à sauter. L’inévitable haut-parleur annonça :
--Mauvaise sortie, bien rattrapée. Tout va bien, numéro 1 !
Durant les vingt derniers mètres, je m’efforçai de découvrir un bout de terrain pas trop dur, mais échouai complètement dans mon entreprise. J’atterris sur le derrière et parvins à rester entier en réussissant une glissade les quatre fers en l’air qui tenait du plongeon du gardien de but et de l’envolée d’un gras sautant sur une mine.
… La compagnie 116 gagnait ses ailes.
… Lors du second saut, je recouvrai ma forme. Les 3 et 4eme furent des sorties collectives, un peu bousillées mais sans incident. …
En cinquième lieu vint le saut de nuit, notre ultime descente pour l’obtention du brevet.