Interview de Yves Donjon, auteur de deux ouvrages publiés en 1996 et 2002, déjà consacrés au personnel du Régiment « Normandie-Niémen »Cette interview, riche en information, vous sera présentée en deux parties
Alors ne pourrions-nous pas commencer par rappeler les états exceptionnels de service du Normandie-Niémen ?
Les états de service du Régiment d’aviation de chasse « Normandie-Niémen » sur le Front de l’Est au cours de la Seconde Guerre mondiale sont particulièrement exceptionnels. En 5.240 missions de guerre, 4.354 heures de vol de guerre et 869 combats aériens, le groupe a obtenu 273 victoires aériennes confirmées plus 37 probables, 47 avions ennemis endommagés, 132 camions ennemis détruits, 24 voitures ennemies détruites, 22 locomotives détruites, 2 vedettes coulées. A cet incroyable bilan, il faut rajouter les nombreuses gares, usines, cantonnements, terrains d’aviation et trains attaqués. Ces quelques chiffres résument le brillant palmarès de « Normandie-Niémen » qui en fait l’unité militaire française la plus titrée de tous les temps.
Au même titre que la « 2ème DB », le « Normandie-Niémen » est passé de l’Histoire à la Légende. Cette glorieuse page d’histoire à été écrite par 9 membres des services généraux (médecin, radio, interprète, secrétaire…), 42 mécaniciens, 96 pilotes de chasse et 3 pilotes de liaison. Sur ces 99 pilotes, 44 (dont 2 abattus avec la R.A.F.) sont « Morts pour la France », entre le 13 avril 1943 (premier mort) et le 12 avril 1945 (dernier tué).
Il est important de noter que sur le nombre total de pilotes abattus au-dessus du territoire occupé par l’ennemi, 3 seulement ont été faits prisonniers et sont rentrés en France à la fin de la guerre (soit 7%). Ce pourcentage est bien inférieur à celui de toutes les statistiques des forces aériennes belligérantes (R.A.F., U.S.A.F., Luftwaffe, etc.). Il faut donc en conclure que l’ordre formel signé en mai 1943 par le maréchal Keitel, chef d’état-major suprême allemand, stipulant de fusiller sur le champ tout pilote de « Normandie » fait prisonnier, a été exécuté dans une large mesure.
Pourquoi et comment le Normandie avait été créé ?
Afin de bien comprendre pourquoi et comment le Régiment « Normandie » a vu le jour, il est nécessaire de revenir deux ans avant sa création, et de se replacer dans le contexte de l’époque. En juin 1940, la supériorité des troupes allemandes écrase en quelques semaines les armées françaises. Le 18 juin, le général de Gaulle lance un appel qui deviendra historique. Depuis Londres, au micro de la BBC, la radio anglaise, il convie tous les Français qui n’acceptent pas la défaite, où qu’ils se trouvent, à s’unir à lui dans l’action, sans véritablement savoir de quoi l’avenir serait fait.
Des aviateurs français qui refusent de se soumettre aux exigences du gouvernement de Vichy s’évadent de France et d’Afrique du Nord principalement, pour rejoindre l’Angleterre, désormais seule à combattre l’ennemi allemand. Le premier ralliement d’aviateurs regroupe environ 600 volontaires, pour la plupart jeunes élèves pilotes en cours de formation. Le 8 juillet 1940 voit la création officielle des Forces aériennes françaises libres (FAFL) dont le commandement est provisoirement confié au vice-amiral Muselier. Celui-ci propose comme emblème des Forces françaises libres (FFL) la Croix de Lorraine, en souvenir des origines lorraines de son père. Dans un premier temps, les unités volantes françaises sont incorporées au sein de la Royal Air Force (R.A.F.). Par la suite, pour des raisons de propagande, il est décidé de donner des noms de provinces françaises aux groupes des FAFL. Les deux premières unités réellement FAFL à voir officiellement le jour sont le groupe de chasse n° 1 (G.C. I) « Alsace » et le groupe de bombardement n° 1 (G.B. I) « Lorraine », crées les 1er et 2 septembre 1941. Ils seront suivis par le G.C. II « Ile-de-France », crée le 20 octobre 1941. Le prochain groupe de chasse sera le G.C. III « Normandie ».
Au début de l’année 1942, alors que la situation des Alliés est catastrophique sur tous les fronts, le général de Gaulle manifeste son intention de créer une unité française qui ira combattre aux côtés des Russes, sur le territoire soviétique. Après de longues et laborieuses négociations (dont la cheville ouvrière est le capitaine Albert Mirlesse) avec l’U.R.S.S., le groupe de chasse n° 3 (G.C. III) est officiellement crée à Rayack au Liban, le 1er septembre 1942. Rapidement, le G.C. III est baptisé « Normandie ». Le 12 novembre 1942, 61 militaires français, dont 15 pilotes (1 pilote de liaison - 14 pilotes de chasse) et 42 mécaniciens, décollent de Rayack pour Bagdad (Irak). Après un long périple, en trains, camions et avions, le « Normandie » rejoint, le 29 novembre 1942, la base d’Ivanovo, ville située à 250 km au nord-est de Moscou. L’extraordinaire aventure de « Normandie » va commencer.
Qui étaient les hommes qui ont eu le cran de s’engager dans ce, plus que périlleux, combat ?
Les hommes qui vont constituer le G.C. III proviennent de tous les horizons : Indochine, Angleterre (principalement), Libye, Afrique du Nord… Ils se sont tous portés volontaires pour le G.C. III. Le médecin (Lebiedinsky) et les deux interprètes (Schick et Stakhovitch) sont tous les trois d’origine russe. Les mécaniciens, en grande majorité, viennent des groupes « Alsace » et « Lorraine » où ils ont été recrutés par le commandant Pouliquen, premier commandant de « Normandie ». Pour les pilotes, 6 viennent du Levant et sont issus du G.C. I (Castelain, Derville, Littolff, Poznanski, Préziosi, Tulasne), 5 de la R.A.F. (Béguin, Bizien, de La Poype, Mahé, Risso), 3 du G.C. II (Albert, Durand, Lefèvre), et 1 de l’armée de l’Air (de Pange). Ce sont principalement des pilotes expérimentés dont plusieurs ont participé à la campagne de France, à la Bataille d’Angleterre, ou aux combats du Levant.
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Decouvrez ou redecouvrez le RETOUR DE L'ESCADRILLE NORMANDIE-NIEMEN Les Actualités Françaises - 29/06/1945 (un document INA) - cliquez sur la photo de Roger Sauvage
Biographie express de l'auteurNé en 1956 à Arcachon, d’un père officier supérieur de l’armée de l’Air, Yves Donjon attrape dès son plus jeune âge le virus de l’aviation. Il effectue ses études secondaires à l’Ecole des Pupilles de l’Air de Grenoble, où il obtient la Préparation militaire Air. Il devient ensuite Pompier de l’Air à la Section Sécurité Incendie et Sauvetage (SSIS) de la base aérienne 126 de Solenzara (Corse). Revenu à la vie civile, il se passionne dès lors pour l’histoire de l’aviation sous toutes ses formes et se spécialise dans l’histoire de l’armée de l’Air française durant la Seconde Guerre mondiale. Documentaliste du « Mémorial Normandie-Niémen » des Andelys depuis 1994, vice-président de la section des Côtes-d’Armor de l’association nationale des sous-officiers de réserve de l’armée de l’Air (ANSORAA), il est également membre actif de plusieurs associations aéronautiques ou à caractère patriotique.
Bravo pour cet article qui nous rappèle qu'il en fallait de "sérieuses" en 1942 pour s'engager dans ce combat!Et bravo à l'auteur du livre pour tout ce très intéressant travail.Continuez