Douarnenez le 24 août 1941 de l'envoyé spécial Max Roussel :
"_ Pas de sorties aujourd'hui?"
Le pêcheur relève la tête de son travail de réparation de son filet, me dévisage.
_ Pas de sortie, répond-il. Je suis compris dans celle de demain. Chacun son tour, pas vrai ? J'en profite pour réparer les dégâts de ce filet qui ne servira peut-être jamais.
_ N'est-ce pas là un filet à sardines?
_ Oui, et c'est pour cela que je vous dis qu'il ne servira peut-être jamais. Dans le regard de l'homme passe une fugitive lueur de tristesse.
Le roman de la sardine :
_ Oui, ma naïveté d'enfance était grande, qui croyait aux mystères intarissables de la mer... Voilà, on n'avait qu'à partirau matin, sur quelque bateau, loin au large et là, les filets de miracle, jetés dans les fonds glauques n'avaient qu'à cueillir la manne bénite... Au crépuscule, l'on s'en revenait au port avec les mêmes bateaux qui s'enfonçaient jusqu'à ras-bord, tant ils étaient chargés.
Comme la réalité conçoit plus de peines mauvaises pour les hommes, plus d'incertitudes et de déceptions parfois!
_ Comprenez me dit l'homme, c'est au début du mois de juin que commence la campagne de la sardine qui dure au maximum 4 à 5 mois. Or, cette année, elle a déjà plus d'un mois de retard dans tous les ports. Ici, à Douarnenez pour ne pas nous ronger les sangs et parce qu'il faut bien vivre, nous continuons à pêcher le maquereau et nous restons armés aux palangres... Nous ne demandons pas meiux que de jeter nos filets. Il aurait du poisson certainement. Mais le filet ne suffit pas. Pour que la sardine vienne se faire prendre, il faut l'attirer par certains appâts dont les meilleurs sont de la rogue de morue qui nous est livrée de Norvège et de la farine d'arachide. Les difficultés pour en avoir sont très grandes et le problème n'a pas encore été résolu. Ici, nous ne disposons que de 5 barils de rogue par bateau pour toute la campagne, alors que la consommation normale est de 3 barils par semaine.(SIC !).
Allez à Port Manach, à Brigneau, au Guilvinec, à Merrien, à Doëlan, à Concarneau, à Camaret, à Morgat, à Audierne, à Loctudy, partout c'est la même chose. Quand je pense qu'à cette époque, c'étaient plus de 150 tonnes par jours de sardines que nous débarquions...
L'homme semble enragé sur son filetque ses doigts prennent pour remaillage.
_ Parfois, parce que le métier est dans notre veine, nous faisons quelques essais de pêche à la sardine... Et lorsque, après tant de mal, nous rentrons au port, nous qui avons beaucoup plus de dépenses à engager que le pêcheur ordinaire, savez-vous quels sont les prix de vente que l'on nous impose ? 850 francs les 100 kilos. Si c'est le marché noir que l'on souhaite encourager, il n'y a qu'à le dire... et l'on verra ce que l'on a vu ces jours derniers sur un marché : 15 francs le kilo de sardines.
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Source : le journal "Paris-soir" du lundi 25 auôt 1941.