Il fait un temps printanier magnifique à Rennes.
C'est le Lundi Gras, beaucoup de magasins ont baissé et tout le monde se retrouve sur le Champ-de-Mars où la fête foraine a planté ses stands et manèges. C'est au milieu des cris de joie et des flonflons, qu'à 14 h 30, les premières explosions creusent des fossés sanglants dans la foule massée sur l'esplanade. En moins d'une demi-heure, et sans que les sirènes aient eu le temps de lancer l'alarme : le Champ-de-Mars n'est plus qu'un champ de Morts.
C'est au milieu d'un chaos indescriptible que les premiers sauveteurs, accourus en hâte de tous les coins de la ville, s'acharnent sur les manèges déchiquetés, soulèvent les stands effondrés, dégageant avec beaucoup de précaution les rares survivants. Ce sont surtout des enfants en vacances, pour ce Lundi Gras, que les sauveteurs aligneront dans la chapelle ardente dressée dans une baraque en bordure du Champ-de-Mars. Le reste de la ville n'a malheureusement pas été épargné.
Le noeud ferroviaire de la gare de triage étant, semble-t-il, l'objectif attribué aux forteresses volantes de l'U.S. Bomber Command, le quartier de la Gare et la rue Saint-Hélier ont été particulièrement éprouvés.
Au bout de la rue Saint-Hélier encombrée de débris, la Société Économique dresse la silhouette carrée de ses entrepôts, rue Monseigneur-Duchesne.
C'est dans les caves de ces entrepôts, qui jouxtent la voie ferrée, que les 71 employés périront, prisonniers dans leur abri incendié.
Des centaines de corps meurtris, brûlés, déchiquetés, s'entassent à présent dans les principaux hôpitaux de la ville. L'Hôtel-Dieu est vite débordé par cet afflut continuel de blessés et bien que ce drame ait dépassé en horreur et soudaineté tout ce que les sauveteurs pouvaient imaginer, les secours s'organisent très rapidement.
Les quartiers épargnés envoient leurs équipes de D.P. ; des bénévoles fouillent méthodiquement les décombres des maisons effondrées, le personnel des hôpitaux, les sapeurs-pompiers, sous les ordres du commandant Dubois, la Croix-Rouge, organisent une évacuation rapide. La ville entière participe au sauvetage et à l'hébergement de ses victimes.
Outre le quartier de la gare, les quartiers du Cimetière de l'Est, rue de Châteaugiron, et boulevard Villebois-Mareuil d'une part et les rues Ange-Blaise, Ginguené, le quartier de la T.S.F. établi rue de l'Alma d'autre part, sont le théâtre des mêmes scènes de désolation.
Seuls dégâts aux installations militaires allemandes, le parc d'artillerie de la caserne de Guines et la caserne du Colombier ont été touchés.
Source : "Ouest-Eclair" du 9 mai 1943.