." .. Dans la ferme du bout du village, depuis qu'on a commencé à faucher les seigles, les avoines, les blés, la vieille paysanne qui est la patronne a dix-huit enfants tous les jours à sa stable. Ses deux filles ainées et leurs enfants, le plus jeune de ses fils, et quelques-uns de ses autres petits-enfants. Le plus jeune de ses fils a vingt ans. Il mène la moissonneuse, comme cet hiver il a mené la charrue.
Il n'y a pas d'autres hommes, cette année, que les vieillards et les enfants de vingt ans.
Le travail le plus dur, aux champs, ce sont les femmes qui le font. Elles ont fait le binage des betteraves, maintenant elles lient les gerbes, elles chargent les charrettes, elles construisent les meules. Ce sont les enfants qui leur apportent les gerbes, ceux de quatorze ans, ceux de douze ans. Les voitures de blé hautes comme des maisons, que trainent des percherons énormes, sont conduites par des enfants de onze ans, qui font la navette entre les champs et le village, jusqu'à sept et huit fois par jour, et qui aident à décharger les bottes et à les ranger dans les greniers.
A peine si leur petite main noire est assez grande pour serrer le manche du fouet ou la bride des grands chevaux. Mais ils les mènent en chantant. Quand le soleil tombe, les femmes reviennent des champs en chantant aussi.
Les tout-petits trottinent derrière elles, si fiers parce qu'ils ont eux aussi leur gerbe, et qu'eux-même ils égréneront le blé de leur glane à poulets et à dindons - car on ne bat pas le blé de glane, qui est la réserve des pauvres gens et des petits enfants.
Quand tous les blés seront rentrés, elles prendront quelques poignées d'épis et les tresseront en couronne avec des nielles bleues et des coquelicots, et la couronne accrochée au grand portail de la ferme dira à tous les passants que la moisons est terminée.
... Il n'y a pas de moisson sans joie. Et la moisson de cette année (1941), c'est la moisson des femmes et des enfants."
Source : "Pour Elle" du 17 septembre 1941, article signé Marie Savinien..
Et pour couronner le tout, les Occupants Allemands prélèven plus de la moitié des récoltes.
Conséquence : la disette est certaine ! Les Français vont avoir faim ! Ou très faim dans les villes...