Le 20 décembre midi, il fait à peine froid, le lieutenant-pilote Paul de Forges décolle du terrain de Saint Dizier pour une mission de grande reconnaissance au-dessus du territoire ennemi, "survol de la région du Mein, photographie du secteur fluvial entre Mayence et Francfort", avec à bord du Potez ses équipiers, le lieutenant-observateur Navelet et l'adjudant-mitrailleur Paul.
Ce n'était pas le premier vol de guerre de l'équipage. Déjà, les 3 hommes avaient accompli une douzaine de missions de reconnaissance, les unes à très haute altitude, les autres à moins de 20 mètres du sol... La 1ere le 8 septembre 1939 un trajet Mayence-Francfort-Darmstadt, le 15 octobre les terrains d'aviation de la région de Bonn, ...
Aujourd'hui, l'avion grimpe vite dans le ciel; bientôt, il atteint 10 000 mètres, se rétablit en vol horizontal, pique sur l'Allemagne, survolant une splendide mer de nuages. A bord tout va bien... Non! L'oreille exercée du pilote perçoit un bruit anormal. Un regard à gauche, à droite, un peu d'attention encore... C'est bien le moteur gauche qui vibre.
Insigne métallique de la 1ère escadrille du GR I / 33Paul de Forges saisit son crayon et griffonne cette information. Il tend la feuille à l'observateur responsable de la mission.Navelet lui répond par le même moyen : "Ce n'est peut-être pas grave. Il faut coûte que coûte remplir la mission. Plus loin devant nous, on aperçoit une troué dans les nuages, l'on pourra peut-être faire quelques bonnes photos".
Le pilote approuve de la tête et reprend son cape au 70° vers l'Est. Des déchirures de plus en plus fréquentes dans la couche nuageuse mais soudain Navelet lui tend un papier : "demi-tour. Malgré toutes les précautions prises le froid excessif a bloqué l'appareil photo. Nous rentrons au terrain".
Mais... derrière lui, là, un peu à droite, dominant le Potez d'une centaine de mètres, c'est bien un avion ennemi, un chasseur "Messerschmidt 109"! De Forges n'en revient pas...
Déjà l'ennemi crache le feu de toutes ses mitrailleuses... que faire? De Forge voudrait bien manoeuvrer, se mettre en bonne position de défense... Mais c'est impossible, les commandes des ailerons sont presque complétement immobilisés par le gel (qui donc est responsable, qui a réceptionné cet avion de reconnaissance à haute altitude et qui justement à haute altitude ne fonctionne qu'imparfaitement) et les mitrailleuses sont, elles aussi, bloquées par le froid!
Une seule ressource, une seule chance d'en sortir, pense De Forges : la fuite par un plongeon rapide...
Il pousse le manche er c'est la descente rapide, le piqué. Mais le "Messerschmidt", en très bonne position, poursuit le "Potez" et tire, tire, tire sans arrêt, transformant l'avion français en écumoire!
Soudain, De Forges ressent un grand choc douloureux à l'épaule gauche et son bras retombe inerte le long de son siège. Avec son seul bras droit, il s'efforce de maintenir son appareil en piqué. La tâche est rude, il n'y parvient qu'en s'aidant de ses genoux, tandis que les balles claquent autour de lui et font sauter tous les instruments de bord!
L'avion atteind enfin la couche nuageuse vers 4000 mètres, De forges tire sur le manche mais le "Potez" est à moitié désarticulé, vibre de façon effroyable! La cellule résiste au terrible effort et l'avion sort des nuages en vol presque normal à une altitude de 400-500 mètres... C'est le salut tant espéré!
Une batterie de DCA allemande se trouve là juste à point pour accueillir l'avion français. En moins d'une seconde, notre équipage est pris, entouré, bousculé, ahuri, meurtri par les gerbes oranges des balles traçantes dont les claquements résonnent lugubrement sur la carlingue. La situation devient tragique ! Le moteur droit du "Potez" brûle, De Forges, épuisé, trop concentré sur le pilotage, ne voit pas la trainée de fumée laissée par l'avion... Mais soudain, il entend Navelet criait "Le feu!... le feu!..."
De Forge juge la situation et prend sa décision : il est assez près des lignes françaises... Mais d'un instant à l'ordre, l'avion peut se transformer en torche ! Une seule solution, une seule chance d'en sortir : atterir immédiatement ! Alors avec de la chance, ce sera le statut de prisonnier...
...
"Pour vous, monsieur, la guerre est finie!" Le lieutenant-pilote De Forges, après un long séjour en hôpital militaire allemand, sera libéré mi 1941 et livrera le contenu de ce récit.
Extrait de "Carnet de Patrouille" de Roland Tessier, éditions Baudinière, décembre 1942.