Le 13 Juin 1940, « les Allemands sont devant Paris* ». Mamy a 13 ans, elle vient de passer avec succès l’épreuve du certificat d’étude juste quelques jours auparavant. Elle vit avec ses parents, sa grande sœur « Denise » et son petit frère « Bernard » dans une petite ferme pratiquant la polyculture dans le hameau du Corbier, commune de Jouy le Châtel en Seine et Marne.
Il n’y a pas de TSF à la ferme mais pour avoir « les nouvelles », sa mère lit régulièrement le quotidien « Paris-soir » et puis, il y a le bouche à oreille. La « Drôle de guerre » n’a guère d’échos dans le quotidien des fermiers, à l’exception des quelques mobilisés et surtout des chevaux manquants du fait des réquisitions de l’Armée. Ainsi le plus jeune cheval de trait « Chansonnet » de l’exploitation est parti et « n’a jamais été payé ». C’est à double titre une perte pour l’exploitation car la production d’un poulain et sa vente constitue à part entière l’un de ses revenus et la force de traction est ici divisée par deux. A un moment, tous les habitants du hameau du Corbier ont formé un convoi et sont partis ensemble. Pourquoi ce départ ? Ce départ ordonné qui plus est ? Ordre de la mairie ? Des gendarmes ?
Son père, Camille Auguste, a chargé sa gerbière avec ses « cornes » (grande charrette pour rentrée les foins), a attelé la jument « coquette » de couleur baie, le seul cheval de trait non-réquisitionné. Deux vaches ont aussi été du voyage.
Le chariot a été chargé pour moitié de foin et de l’autre de matelas, de vaisselle (le buffet de la cuisine a été vidé), de couvertures, de bâches, d’un ou deux bidons de lait et d’un seau peut-être. Des provisions sont aussi prises notamment des pommes de terre. Son père n’étant pas chasseur, la question d’emmener ou pas le fusil ne se posera pas. Tous les autres animaux de la ferme ont été lâchés dans les champs derrière la ferme.
Les participants à cet Exode, en plus de la famille Boucquiaux, étaient la famille Bytbier, la famille Gorde (pas leur fils mobilisé et futur « PG »), la famille Van de Val avec leurs 2 filles Anna et Angèle et leur fils Aimé, la famille Ost avec leurs enfants Robert, Jeanne et Léone et peut-être d’autres familles/fermes encore? Nous avons donc un convoi hippomobile formé à minima de 5 gerbières/chariots fuyant devant les Allemands. Notons que leur vitesse de déplacement était donc dès plus réduite.
L’itinéraire emprunté à gros traits serait le suivant : le Corbier, Jouy le châtel, Saint Just, Maison Rouge, Marie en montois et le terme du voyage, point le plus septentrional atteint, la Tombe de l’autre côté de la Seine !
Durant tout ce périple, le temps serait resté au « beau fixe » de bout en bout. Quelle a été la durée de celui-ci ? Environ une grosse semaine . Ils avançaient « au pas » avec de longs moments d’immobilité forcés.
Les anecdotes :
- Durant leur premier jour, ils ont rencontré le médecin de Jouy (qui était en moto), le Docteur « Le Cocq », qui leur aurait dit « Dépêchez vous, les Allemands ne sont pas loin derrière vous ».
- Ils auraient été mitraillés par des petits avions mais les chevaux seraient restés calmes.
- Ma grand-mère aurait aussi vu son premier « tué », un homme couché sur le ventre accroché à un soupirail.
- A l’entrée du village des « Ormes », des gendarmes barraient la route vers Bray sur Seine car le pont avait sauté, le convoi s’est donc dirigé vers le pont le plus proche, celui à la Tombe.
- Et voici quelques unes des misères de cet exode :
- Comme les deux vaches emmenées avaient du mal à supporter cette marche, sous la surveillance de ma grand-mère et de sa sœur, les vaches allaient pâturer dans les champs au bord de leur route. Et l’une d’entre elle s’est «sauvée » et n’a pu être retrouvée malgré toutes les recherches entreprises… Résultat une grosse « réprimande » pour ma grand-mère !
- Cette longue marche a eu aussi raison des pieds de ma grand-mère et par chance, des soldats français lui aurait donné des espadrilles pour qu’elle puisse poursuivre sa route.
- Au village de la Tombe, il y a une grosse ferme avec une cours fermée où tout le monde a dormi (photos jointes), des provisions y ont été trouvés . C’est là qu’il leur a été dit que les Allemands les avaient devancés… Ils ont donc collectivement décidé de rentrer au Corbier.
- Sur la route du retour pas de souvenir particulier, si ce n’est l’arrêt à la ferme de l’entrée de Maison-Rouge lors de la dernière nuit. Lors de la récupération des animaux lâchés lors du départ, il manquait une vache de plus. Le bilan de ce voyage aura donc été de 2 vaches de perdues sur les 8 de la ferme.