Eté 44, les Allemands attendent toujours le gros de l’attaque sur le Pas de Calais. Le ciel normand est sous l’absolue domination des chasseurs alliés, le haut commandement allemand est « aveugle » avec ses moyens classiques mais il dispose depuis très peu de temps d’une arme secrète : un avion de reconnaissance à réaction trop rapide pour les chasseurs alliés. Cet avion a bien sûr équipage d'exception, E Sommer et H Götz, toujours actuellement vivants et leur témoignage a été recueilli et mis en valeur par notre ami M Philippe Bauduin.
C’est cette mission de reconnaissance qui vous est raconté ici :
La mission
Le 2 août 1944, la météo est clémente et l’ordre est donné d’effectuer une première reconnaissance. Une météo qui doit être parfaite au-dessus des objectifs, en l’occurrence le port d’Arromanches et les aérodromes. La qualité des photos en dépend.
E. Sommer grimpe dans son appareil par la verrière avant droit. L’avion a été hissé sur son chariot de décollage. Les techniciens vérifient les ultimes détails. Autour de l’Arado, on referme les dernières trappes. Auparavant hissé par un tracteur sur le Rollstrasse (piste d’accès aux pistes d’envol, « taxiway ») de son hangar souterrain, il est dirigé vers la piste d’envol en béton. De leur côté, les chasseurs à hélice Bf 109 et Focke-Wulf 190 du IV/JG 27 et du I/JG Ils font chauffer leur moteur. Ils ont pour rôle d’accompagner au départ et à l’arrivée l’Arado. Ce sont les deux moments où cet appareil peut être abattu par un chasseur allié. Dans son cockpit, une fois arrivé à son point de départ, en bout de piste, E. Sommer, toujours aidé des derniers techniciens, démarre les réacteurs à l’aide d’un moteur auxiliaire « Riedel » chargé, lui, de lancer les pales des réacteurs.
Des hommes, munis de lances d’incendie, sont prêts à intervenir en cas de problème. E. Sommer a peu de place dans ce biréacteur pour se mouvoir. Sur sa gauche, les deux manettes à manipuler avec une « main d’ange » qui servent au contrôle des moteurs qu’il laisse monter en régime. Il vérifie une dernière fois ses volets, son gouvernail et sa commande de profondeur. Un bref coup d’œil à l’extérieur lui indique que tout est OK. La radio une fois branchée, il suit les instructions de la tour de contrôle. Paré pour le décollage, doucement l’avion s’ébranle dans un curieux sifflement. Les habitants de Juvincourt, plutôt habitués aux bruits des hélices, regardent de loin l’appareil qui s’élance en direction de l’ouest. Une brève secousse, le chariot s’est décroché et tombe, ralenti par le parachute. Par sécurité, en cas de décollage raté, les trois patins d’atterrissage sont restés sortis. Le temps de les remonter et E. Sommer aperçoit les chasseurs allemands qui l’encadrent.
Tout en vérifiant les multiples instruments de contrôles, il prend de l’altitude pour arriver enfin à douze mille mètres, là où il sera invulnérable, là où ni la Flak (FLugAbwehrKanonen, D.C.A.), ni aucun chasseur, sauf quelques appareils réservés à la surveillance de l’Angleterre, comme les Spitfire stratosphériques, ne peut monter. A huit cents – neuf cents kilomètres/heure, il faut peu de temps pour se rendre au-dessus de la Normandie. Avant d’être sur son objectif, le pilote prépare ses appareils photo (caméras RB 50/30). Devant lui, un périscope lui permet dans ce cas précis essentiellement de surveiller les traînées de condensation. Trop importantes, elles ne manqueraient pas d’attirer vers lui l’attention des servants de DCA. E. Sommer regarde sa carte et commence ses prises de vues.
En bas, c’est la guerre ou presque puisque la zone d’Arromanches n’est plus qu’une base logistique, mais essentielle. Méticuleusement, il photographie tout en trois passes: aérodromes où sont basés les fameux avions « Typhoon » tueurs de chars, transports de troupes, bateaux et même les quelques vergers qui ont résisté à l’assaut du mois de juin. Il est temps de rejoindre la base. Un virage très long, pour ne pas fatiguer la structure de l’avion soumise à de fortes contraintes à cette altitude, et c’est le retour vers l’est, vers Juvincourt.
Tout s’est déroulé sans difficulté. Au-dessus de Soissons, l’Arado, qui a commencé à perdre de l’altitude, rejoint les chasseurs venus le protéger. Juvincourt est en vue. E. Sommer abaisse le long patin d’atterrissage central et les autres, sous les réacteurs. Il réduit sa vitesse, sort ses volets. Il est parti depuis une heure et demie. Doucement, sans doute en contact radio avec l’opérateur chargé de le guider vers la piste en herbe, il descend régulièrement : deux cents, cent, cinquante mètres puis vingt, dix, il coupe les réacteurs. ( Grâce à un film des archives de la Luftwaffe, on se rend compte que le choc est énorme, l’appareil glisse vite.)
Le pilote sort son parachute de freinage, puis la longue course sur l’herbe verte prend fin. Les trois patins ont tenu! Des hommes accourent vers lui. Dans sa cabine, l’officier-pilote E. Sommer dégrafe son masque à oxygène, respire un bon coup tout en restant assis sur son siège. Il voit ses camarades lui sourire à travers la verrière. Aidé d’un des techniciens affectés à l’Arado, il enlève les courroies qui l’ont maintenu solidement attaché pendant tout le vol.
A l’extérieur de l’avion, le soleil l’éblouit un instant. Quelques personnes se pressent pour lui serrer la main. Après tout, il s’agit du premier vol au monde de reconnaissance aérienne en avion à réaction.
Extrait du livre de notre ami M Philippe Bauduin «Normandie 44, Arado l'avion espion» qui contient beaucoup d’autres informations passionnantes. Il est d'ailleurs toujours en contact avec les 2 auteurs (E Sommer et H Götz) de ce vol historique, voir leurs photos d'époque et actuelles (en Allemagne et en Australie).
Si vous souhaitez aller plus loin, nous ne pouvons que vous conseiller l’achat de cet ouvrage alors que la période des fêtes d’année se profile.
En complément, nous proposons de faire un tour sur 2 sites complémentaires :
- Le premier sur l’aérodrome de départ de l’Arado de Juvincourt avec des vues des installations (restantes à ce jour)
http://www.anciens-aerodromes.com/?p=3029
- Le second sur les témoignages liés à l’activité de la Résistance intéressée par ces avions extraordinaires :
« Durant l'été 1944 on trouvera à Juvincourt à la fois les Arado 234 , T9+LH de H. Gotz et T9+MH de E. Sommer ainsi que des Me 262. Des Me 262, avions sans hélice qui attirèrent l'attention de la Résistance. Le MI 6 fut immédiatement informé et les pistes immédiatement bombardées. La RN 44 servira d'abord de piste de secours puis de piste principale. On remarquera que la RN 44 ne fut jamais visée! E. Sommer rapporte que lors d'un décollage il aperçut allongé dans l'herbe un civil qui le photographiait. Il informa immédiatement les services de sécurité qui se lancèrent à la poursuite de l'intrus. Ils remonteront la filière jusqu'aux côtes de Normandie où les précieuses photos avaient été remises aux alliés. Aujourd'hui encore les Services Secrets anglais nient farouchement avoir reçu de tels clichés.
http://www.aviationsmilitaires.net/display/aircraft/352/ar_234