Série de deux articles où le narrateur est Marcel Fèvre, chirurgien au service de Santé des armées lors de la guerre.
Le capitaine d’artillerie est tombé en 1940 au champ d’honneur. Sa dernière citation exalte son héroïsme et l’exemple qu’il a donné. Son éloge a ralenti un jour d’Assemblée de la Résistance médicale au grand amphithéâtre de la Sorbonne. Son général a déclaré qu’il perdait en lui un des meilleurs officiers d’artillerie de sa division.
Qu’un chirurgien d’élite, ancien interne de Paris, professeur à l’Ecole de Médecine de Rouen et chirurgien des hopitaux de cette grande ville, ait été tué comme capitaine d’artillerie constitue un titre de gloire pour la médecine française. Il est bon qu’elle ait ses héros, ses martyrs et que personne ne puisse chicaner le corps médical sur son courage.
Pourquoi cette mort illogique d’un chirurgien de haut rang à cette place de combattant ? Derocque, tout jeune, avait fait campagne en 1914-18 comme artilleur. Un jour, un camarade m’avait dit à l’Académie de Chirurgie : « Tu sais que Derocque a voulu passer dans le Service de Santé. On lui a dit qu’il serait d’abord médecin-auxiliaire ! Il a refusé et reste capitaine d’artillerie. » Un an plus tard, j’ai appris l’admirable exemple qu’il avait donné. Mais, dans cette mort, certains portent de lourdes responsabilités. Certains chefs du Service de Santé, n’ont rien fait pour modifier cet état des choses. Leur inertie n’a rien été à coté du mauvais vouloir des bureaux dès qu’on a voulu leur faire remuer la crasse fossilisée de leurs lois vétustes et de leurs dossiers.
En aout 1918, les étudiants en médecine encore mobilisés ont été rappelés à la Faculté. Quel aspect curieux que ces gradins du grand amphitéatre sur lesquels se pressent des étudiants dans les tenues militaires les plus variées. Si la majorité appartenait au Service de Santé, quelques-uns tranchaient par leurs caractéristiques d’officiers des armes. Parmi eux, se lève une étrange génération chirurgicale et six au moins de ces combattants deviendront chirurgiens des hôpitaux… Pourquoi cette évolution parallèle : gout du sport, du risque et de responsabilité ? Peut être.
Mais, évidemment, les lois et règlements régissant le Service de Santé n’avaient pas prévu qu’un jour, engagés volontairement ou partie avec leur classe, à dix-huit ans, des étudiants débutant en médecine reviendraient de guerre officiers des armes ! Or, pour être sous-lieutenant dans le Service de Santé, il fallait avoir été médecin auxiliaire et avoir passé sa thèse. Résultat : quelques années après cette guerre de 14-18, lorsqu’un officier des armes cumulant titres médicaux civils et militaires voudra passer dans le Service de Santé, on lui a proposera une immédiate rétrogradation, et il se trouvera dépassé en ancienneté par foule de médecins ne possèdent aucun titre ! Aucune équivalence, aucun moyen de rattraper cet inique retard n’est prévu !